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« Maîtriser et rayonner son art » : entretien avec Hélène Tysman

Hélène Tysman. Photo : Lou Sarda©️

Hélène Tysman. Photo : Lou Sarda©️

Peu de gens décriraient la vie de musicien comme un long fleuve tranquille, et de nombreux musiciens parmi les plus célèbres du monde souffrent comme tout un chacun d’un trac paralysant. Il est déjà réconfortant de savoir que vous n’êtes pas seul – et que les émotions fortes peuvent être puissantes à condition de les maîtriser.

Nous avons récemment accueilli la pianiste et coach d’artistes Hélène Tysman pour une journée d’atelier dans notre showroom parisien. La session s’intitulait « Maîtriser et rayonner son art », car pour Hélène, c’est l’extériorisation de ce qui se trouve à l’intérieur de soi qui est la principale tâche et le principal défi du musicien. Votre journaliste Camac, toujours curieuse, s’est entretenue avec Hélène pour en savoir plus.

Relier l’intérieur à l’extérieur

« Pour moi, le vrai défi, c’est la relation à l’Autre », explique Hélène. « Lorsqu’un artiste vient sur scène, il est amené à s’exprimer, c’est-à-dire externaliser ce qu’il a en lui vers l’extérieur. C’est peut-être le défi le plus subtil, le plus exigeant dans l’être humain. Quel est mon univers, qu’est-ce qu’il a de tellement unique, singulier et précieux à apporter au monde ? Peut-être a-t-on été blessé d’une manière ou d’une autre et, au bout d’un certain temps, on n’a plus l’audace de s’extérioriser. Mais c’est justement le propre de l’artiste d’avoir l’audace et la force de s’exprimer, c’est-à-dire porter vers l’extérieur son monde intérieur. Si les artistes sont souvent les plus sensibles, c’est parce qu’ils sont dotés, paradoxalement, d’une très grande puissance. Pour moi, la sensibilité est un canal. Or si le canal n’est pas bien utilisé, on a l’impression de foncer dans le mur. »

Plus vous êtes sensible, plus vous devez maîtriser vos émotions – mais pas les supprimer. « C’est comme conduire une Formule 1 », continue Hélène. « Si vous n’êtes pas habitué ou que vous pensez rouler dans une 2 CV ordinaire, vous risquez de vous écraser. Mais ce n’est pas qu’on conduit mal, c’est qu’on a une Formule 1 entre les mains. Quand on est face à l’autre, je dirais que le plus grand challenge pour un artiste, c’est : « Suis-je bien dans mes bottes ? Suis-je bien ancré ? Et en même-temps, suis-je complètement connecté à ce qui est le plus important pour moi à transmettre ? » Alors seulement je peux me sentir sécurisé tout en communiquant à l’Autre. »

Se concentrer sur l’autorité intérieure

En entendant cela, la première chose que je veux savoir est comment les artistes peuvent avoir confiance en leur propre valeur, et en l’intérêt qu’ils représentent pour le monde ? Les réseaux sociaux bombardent les artistes d’images de la vie extraordinaire des autres, ce qui n’aide en rien l’estime de soi. « C’est vrai, mais je ne pense pas que le Star system soit le problème » répond Hélène. « Il y a une multitude de possibilités de se laisser distraire, et l’effet de cela est qu’il est facile de croire que le pouvoir est à l’extérieur. Que ce soit son banquier, un jury de concours ou un critique musical… la question est plutôt : où est ma propre autorité ? Il est primordial de (re)découvrir mon pouvoir personnel et ce qu’il va me permettre de transmettre. Ce n’est pas juste jouer de la musique ou de la harpe… ça va beaucoup plus loin que cela. »

C’est cette reconnexion au pouvoir personnel qui est au cœur de la définition qu’Hélène donne de la maîtrise de soi. « En soi, « maîtriser » est souvent mal compris, comme « gérer », « contrôler » ou « être solide », par exemple. L’émotion n’est surtout pas là pour être gérée ! C’est ce qui la précède qui peut être maitrisé : la pensée et, au-delà de ça, la mécanique de pensée, son système interne. J’utilise plutôt le mot « maître » pour faire référence avec le maître intérieur et ainsi devenir le maître de son tout premier instrument : soi-même. Il est étonnant de voir la capacité de ces jeunes virtuoses à chercher la maîtrise d’un instrument extérieur à soi sans commencer par utiliser celle de son tout premier instrument : soi-même. »

Une question d’esprit

 

Hélène Tysman, Isabelle Moretti

Hélène et Isabelle Moretti, qui a beaucoup travaillé avec elle et qui a eu l’idée de notre atelier à Paris.

De la méditation à l’introspection, les neurosciences actuelles s’accordent avec les sages spirituels pour démontrer le pouvoir de l’esprit sur son vécu. Portez votre attention là où il vous est possible de changer quelque chose, et non sur ce que vous ne pouvez pas changer. C’est reconnaître le pouvoir de « l’esprit », comme dit Hélène, « ou le mindset », comme elle précise, selon les anglo-saxons. Concrètement, devenir le maître de soi veut dire avoir une conscience beaucoup plus déployée. Si je maîtrise mon esprit, je serai tout à fait capable de prendre de la hauteur ou de la distance à un endroit où je risquerais de me sentir submergée. À l’inverse, je peux aussi apprendre à être plus « associée » à moi-même, ici et maintenant, lorsque mon esprit aurait tendance à se distraire ailleurs… »

 

Enclencher le switch

Si c’était enseigné, nous passerions tous naturellement d’un état d’esprit à un autre en fonction de celui qui est le plus constructif pour une situation donnée. En réalité c’est quelque chose que la plupart d’entre nous doit apprendre, et il existe des techniques structurées pour nous y aider. L’hypnose, l’une des spécialités d’Hélène dont le sujet a été abordé lors de l’atelier de Paris, en est une. Elle explique : « L’hypnose consiste essentiellement à reprogrammer… Inconsciemment, nous passons notre temps à associer des expériences particulières à des réactions particulières. C’est un peu l’expérience du chien de Pavlov… En réalité on ne fait que ça dans nos vies, le plus souvent inconsciemment. Issu d’une programmation interne, on réagit par exemple à notre prénom, car nous y sommes programmés. Mais il n’y a rien d’objectivement réel. C’est imaginé, c’est organisé par nos esprits. Si la charge émotionnelle est désancrée et dissociée, un souvenir même traumatisant peut être libéré. C’est ce que j’aime appeler de la sagesse. L’apprentissage reste, mais il n’y a plus de tension car l’émotion n’est plus liée à cette scène. La plus grande découverte que j’ai eue avec l’hypnose, c’est l’idée que tout est changeable, transformable ! Tout est en mouvement. Moi-même, en tant que pianiste, j’étais assez fataliste. Je pensais que sur scène le trac était inévitable et les concours difficiles. Je ne voulais pas croire que j’avais, en moi, tout comme n’importe qui d’autre, la capacité de modifier cela et de le vivre autrement. »

Entrer dans la mécanique

Il existe d’autres techniques de reprogrammation en plus de l’hypnose, comme la PNL. Comment fonctionnent-elles ? Selon Hélène, le point commun de toutes les reprogrammations est qu’elles font appel au subconscient. « Le langage du subconscient est beaucoup plus drôle qu’on ne l’imagine, car il change et peut être changé. Ici, nous allons vraiment utiliser la visualisation : qu’est-ce que je vois, et qu’est-ce que j’associe ? Et du coup, qu’est-ce que je me fais vivre ? Les Espagnols utilisent le même mot pour dire « créer » et « croire » : « yo creo lo creo ». Nous créons ce que nous croyons. Tout ce que je crois me fait vivre mon monde. Le cerveau n’a pas la capacité de vivre dans un monde auquel il ne croit pas.

 

Atelier Hélène Tysman, l'Espace Camac de Paris

Au travail !

Il est donc possible de transformer nos croyances. Regardez, par exemple, l’idée, enfant, que le Père Noël existait… Cette « vérité » n’était pas remise en question. Pourtant cette réalité a changé. Ce qui a changé, ce n’est pas tant qu’il y ait – ou non – la présence du Père Noël, mais comment vous vous ressentiez dans l’une et l’autre de ces croyances, puisque c’est cela que vous vous faisiez vivre comme une vérité absolue.

Grâce à l’hypnose ou la PNL notamment, il est possible d’entrer dans cette mécanique. Parfois une simple prise de conscience suffit à transformer un état d’être ou une situation.

 

Mais qu’en est-il de l’intuition ?

Pouvons-nous vraiment penser à sortir d’une réalité pour entrer dans une autre ? J’aime à penser que oui, mais je veux en savoir plus. Je suis intriguée par le fait qu’Hélène travaille également sur l’intuition avec des musiciens : cela semble être quelque chose de différent. Comment le cœur et l’esprit vont-ils de pair ?

« Il existe trois types d’intelligence », explique Hélène. « Le corps, le cœur et l’esprit. Les musiciens peuvent le comprendre facilement : en musique, il vous faut trois notes pour faire un accord parfait. Et il faut que chacune de ces trois notes soit accordée, juste, en soi et avec les deux autres. En tant que musicien, il vous est naturel d’accorder quotidiennement votre instrument. C’est la même chose avec soi-même. Parfois l’instrument se désaccorde et il est possible de se réajuster, en permanence. C’est alors qu’on peut avoir accès à un potentiel qui va bien au-delà du cerveau. Le cœur possède une immense intelligence. Il a été scientifiquement prouvé que les réactions du cœur précèdent d’environ une seconde une situation. Il y a aussi l’intelligence du corps : l’instinct, qui est un énorme potentiel. Si l’intelligence émotionnelle commence seulement à éclore, c’est que la société moderne a pu avoir tendance à nous en éloigner. La peur vient de l’idée que l’émotion va nous faire partir en vrille, ou nous faire faire n’importe quoi… Mais quand tout est accordé, que l’on est en harmonie avec ses pensées, ses émotions et son corps, alors les actions se posent avec justesse et une fluidité s’installe tout au long de son évolution. Et lorsqu’il y a cette fluidité, il y a un espace plus grand pour se détendre. La détente est particulièrement favorable à la présence de l’intuition. Lorsque tout est juste, la force déployée est nettement supérieure et ce qui se transmet est extrêmement puissant et motivant.

Le contraire de l’intuition serait le conditionnement, c’est-à-dire un apprentissage à partir d’une référence extérieure, le plus souvent inconsciente. Comment fait-on la différence ? On sait si une pensée ou une attitude est un conditionnement en ce qu’elle nous limite ou, au contraire, nous ouvre.

Atelier Hélène Tysman, Espace Camac de Paris

Au terme d’une journée instructive et inspirante !

Le « Je pense, donc je suis » de Descartes a sans doute été mal compris. Il s’agit en réalité d’apprendre à observer, donc à mettre la pensée à distance. Souvent je pose deux questions essentielles lorsqu’une pensée survient. La première est : « me fait-elle du bien » ? Et la deuxième : « m’est-elle utile ? (et à quoi ?) ». En séance, j’invite souvent la personne à se questionner sur l’histoire qu’elle se raconte… Car nous sommes des créateurs d’histoire ! Mon souhait le plus profond est de permettre aux artistes de réaliser qu’ils ne sont pas le jouet de leur imagination et qu’ils peuvent, au contraire, en jouer. »

Vous pouvez découvrir le travail d’Hélène sur ses sites web www.helenetysman.com et www.hypnosedumusicien.com. N’oubliez pas de parcourir son propre blog et ses autres écrits, qui développent ces sujets et bien d’autres, profondément axés sur le point de vue de l’artiste.

Une réponse à “« Maîtriser et rayonner son art » : entretien avec Hélène Tysman”

  1. Céline dit :

    Merci infiniment pour cet interview enrichissante. Je vais suivre cette artiste très inspirante !

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