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Dutch Harp Festival 2018

La scène harpistique néerlandaise est depuis des décennies l’une des meilleures au monde. Phia Berghout, l’une des harpistes les plus influentes (voire la plus influente) du XXe siècle, avait déclaré dès le début des années 1950 que les jeunes musiciens avaient besoin d’une vision plus large et plus cosmopolite, de l’opportunité de se rencontrer et d’échanger leurs idées et de réfléchir en toute conscience à leurs futures carrières. Elle a co-fondé la Eduard van Beinum Foundation afin de favoriser les échanges et l’innovation dans le domaine musical aux Pays-Bas et ses Harpweeks ont tracé le chemin vers la création du Congrès Mondial de la Harpe. Depuis, les harpistes néerlandais se sont distingués par un très haut niveau technique et musical, une ouverture d’esprit et un intérêt pour les nouveautés et une capacité tout à fait louable à coopérer et à réaliser des projets collectifs ambitieux. Le Congrès Mondial de la Harpe en 2008 à Amsterdam était à la fois chaleureux, audacieux et très qualitatif. Et c’est aussi lors de cette édition que j’ai constaté les plus gros efforts pour garder la main mise sur les tarifs, une question majeure en termes d’accessibilité, de qualité et de développement. 

 

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Dix ans après ce Congrès à Amsterdam, les harpistes néeerlandais sont toujours aussi dynamiques. Le Dutch Harp Festival, qui se déroule désormais dans le magnifique centre des arts TivoliVrendenburg à Utrecht, est devenu un moment-clé de nos calendriers. Il a été créé en 2010 par Remy van Kesteren et ses collègues qui ont cherché avant tout à associer un concours de harpe avec un festival. « Les concours sont motivants et peuvent être source d’inspiration », expliquait Remy lors du premier DHF, « mais on ne peut pas le nier : c’est aussi une expérience très difficile ! Je pense qu’il est de la responsabilité des organisateurs de concours de rendre cette expérience aussi constructive que possible pour les candidats.

C’est important pour nous d’organiser un festival en même temps que ce concours à Utrecht. Cela rend l’ambiance moins pesante et plus festive, cela apporte quelque chose de positif pour les candidats qui sont éliminés avant la finale et cela attire plus l’attention du public. Après tout, un concours a pour but de faire découvrir, de stimuler et de célébrer la musique et le talent musical. Cela devrait de toute façon être en son essence même un festival. » 

La Dutch Harp Competition a bien évolué depuis 2010 et cette année, il s’agissait de l’édition la plus expérimentale organisée jusqu’à ce jour. Soucieux de la question de l’accessibilité, l’éliminatoire s’est déroulé dans différents endroits du monde. Cela coûte bien plus cher pour les organisateurs de faire voyager un jury jusqu’à Hong Kong, New York, etc., mais cela permet aux candidats de participer bien plus facilement. Ce n’est donc par pour rien que nous avons parlé du « circuit du concours » ! La réussite à un concours est étroitement liée à l’expérience et à l’entraînement : les candidats qui ne peuvent se permettre financièrement de participer à un concours dans leur vie ont plus de chances d’échouer que ceux qui font des concours depuis leur plus jeune âge. Avec toutes les déceptions que cela engendre. 

La Dutch Harp Competition a toujours eu pour caractéristique de laisser une grande place au libre choix du répertoire. Mais cette édition était totalement transversale. La DHC 2018, rebaptisée la World Harp Competition, était ouverte à tous les types de harpe et le programme était entièrement libre. Il s’agit là de la plus courageuse et la plus complexe des innovations. On peut aborder le problème de la différence d’expertise entre les divers membres d’un jury transdisciplinaire, mais cela est finalement assez simple si on invite des personnes compétentes en qui on a confiance. Ce qui peut être plus problématique, et qui se vérifie dans de nombreux concours, c’est si tous les candidats sont bons. A ce moment-là, le jury doit trouver des points valables afin de déterminer un classement et cela requiert un cadre, car on compare les musiciens les uns par-rapport aux autres. Si vous décrétez que telle personne est meilleure que telle autre, il en est de votre conscience professionnelle et humaine d’être en mesure d’expliquer pourquoi. 

Ce cadre est toujours, par essence, artificiel, construit. Un concours peut décider que la prestation de la demi-finale entrera également dans le jugement de la finale, un autre n’en fera pas cas. On peut vous pénaliser ou non sur le fait de ne pas jouer par cœur, vous pouvez être jugé sur la qualité générale de votre programme ou seulement sur la façon dont vous jouez les pièces. Tout le monde sait qu’on devrait dire courageusement après un échec que « les concours sont très subjectifs », mais cela peut prendre du temps pour saisir toute la profondeur de la vérité cachée derrière cette banalité. Par contre, une fois que l’on a vraiment compris, cela est d’une grande aide. Cela peut vous faire prendre du recul par-rapport au résultat et attirer votre attention sur le défi et l’évolution personnels que cela implique. En abordant un concours avec cet état d’esprit, vous serez toujours gagnant, peu importe le résultat.

A Utrecht, c’était un réel plaisir que d’assister à un concours dans le cadre d’un festival. Chaque demi-finaliste correspondait à un concert du festival, le jury étant assis parmi le public. Toutes nos félicitations à tous ceux qui ont accédé aux épreuves à Utrecht : c’était une belle réussite et nous avons pu apprécier tout l’engagement derrière chacune de ces prestations.

Le fait de sortir des sentiers battus permet de porter une réflexion sur les institutions habituelles, parce qu’un regard extérieur ouvre toujours de nouvelles perspectives. En voici un exemple : comme nous écoutions les candidats de ce concours en plein cœur d’un festival extrêmement dynamique avec un nombre incroyable de concerts programmés, certains spectateurs allaient et venaient. D’un côté, cela créait sans doute une ambiance plus décontractée, ce qui est certainement plus agréable que les concours habituels où l’on oscille entre respect nerveux et angoisse morbide. D’un autre côté, la pression d’un concours reste particulière. Les candidats ont passé beaucoup de temps à se préparer et peut-être, par respect pour cela, les auditeurs devraient rester assis et silencieux pendant la durée des prestations. On parle beaucoup des ambiances un peu figées, surtout dans le monde du classique, mais d’un autre côté, cette tradition veut qu’on reste assis et qu’on se concentre sur ce qui se passe.

Même s’il est décidé que les spectateurs d’un concours devront être plus silencieux à l’avenir, c’est une bonne chose que d’essayer différentes solutions. Cela permet de réfléchir à la nature des institutions, les raisons de leur existence et en quoi elles doivent être remises en question. La Dutch Harp Competition a été créée en partie car Remy et ses collègues avaient ressenti certaines frustrations lorsqu’ils passaient eux-mêmes des concours. C’est important de remettre en question et c’est encore mieux d’essayer d’agir. C’est facile de critiquer X ou Y sur le papier, mais c’est bien plus difficile de mettre des alternatives en pratique. Je ne vois pas d’autre événement harpistique qui le fait mieux que le DHF. 

Parallèlement au concours, la qualité, l’étendue et la richesse du programme étaient impressionnantes. Nous avons pu entendre Nikolaz Cadoret et Hélène Breschand improviser sur un film muet, écouter l’incroyable Latin jazz d’Edmar Castaneda, découvrir des concerts dans le noir, Stockhausen, du yoga à la harpe, du koto japonais, de la fusion indienne, de la musique bretonne (youhou !). Nous souhaitons également féliciter nos collègues italiens pour le lancement de leur Reus 49, fruit d’une collaboration de quatre ans avec Remy. Il est bien BIEN plus difficile d’augmenter le nombre de cordes d’une harpe qu’il n’y paraît et nous sommes également admiratifs de ce travail.

Depuis sa création, le DHF a toujours eu une vision artistique créative, voire un peu loufoque, et tout à fait sérieuse. Chaque édition induit une réflexion, ce n’est jamais ennuyeux, la qualité du programme du festival est sans égale et son organisation chaleureuse, calme et professionnelle est toujours très agréable. Si vous n’y avez encore jamais été, restez à l’affût de l’annonce de la prochaine édition ! 

Je ne sais pas si le DHC suit consciencieusement les pas de Phia Berghout, mais elle en serait certainement très fière. 

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