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Au Revoir Germaine

C’est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès de Germaine Lorenzini. Nous entretenions avec elle une amitié profonde et sincère depuis de nombreuses années. C’est un réel honneur que de l’avoir côtoyée. Elle s’est éteinte paisiblement samedi 4 février à son domicile de Lyon.

Germaine Lorenzini

“L’enseignement n’est pas qu’une activité que j’apprécie et que je trouve intéressante, c’est bien plus que cela. L’enseignement me passionne. Avoir la possibilité de transmettre son expérience, mais aussi de découvrir une nouvelle personne, d’en arriver à comprendre chaque élève psychologiquement, de les respecter et de les aider à s’épanouir et à évoluer en tant que musiciens, sont autant de privilèges incroyables. C’est fabuleux.”

Être pédagogue, ça ne s’apprend pas, c’est un talent inné. Un professeur peut vous expliquer les choses posément et méthodiquement et cependant vous ressortirez de ce cours avec le sentiment d’être incapable d’y arriver. Un autre professeur va crier, vous attraper par le bras, laisser tomber les cendres de sa cigarette dans votre café, et vous asséner que plus jamais vous ne devez refaire ce que vous venez de faire. Et cependant vous en ressortirez plus motivé, plus inspiré et bien déterminé à continuer. C’est un phénomène que tous ceux qui ont côtoyé des grands maîtres connaissent.

Germaine était une immense pédagogue et reconnue comme telle. Il est cependant frappant de constater combien nous ne parlons que peu de sa façon d’enseigner. Un professeur lambda sera salué pour la façon dont il a réussi à aider tel élève à améliorer sa technique, ou parce qu’il est « un bon professeur » sans plus de détails. Pour les grands maîtres, c’est différent. Quand on se souvient de Germaine, on parle d’elle. On se rappelle de sa cuisine, sa façon de fumer, sa joie de vivre, le peu d’importance qu’elle accordait au regard des autres, ses passionnantes conversations sur toutes sortes de sujets, de la philosophie à la politique où elle n’hésitait pas à enrichir la langue française pour mieux décrire « la nullité de Hollande ». Nous appréciions sa franchise, sa rigueur musicale et son refus du compromis. Chez les grands pédagogues, c’est un gage d’honnêteté. Germaine, même si elle ne vous donnait pas la réponse que vous souhaitiez entendre, était toujours juste. Ayant eu elle-même quelques mauvaises expériences lors de ses études, elle a toujours pris soin de ne jamais reproduire cela avec ses élèves. “L’humiliation blesse les gens au plus profond, et un enseignant se doit d’être constructif et non destructeur.” Nous avons tous des souvenirs avec Germaine, publics ou privés. Nous nous souviendrons tous de sa sagesse, de son intégrité, de sa convivialité, de sa rigueur, de son sens de la justice et de sa clairvoyance.

En résumé, ce qui nous impressionne chez un grand pédagogue, c’est sa personnalité. C’est aussi la personnalité de chaque élève que Germaine aimait mettre en valeur. “Beaucoup de gens peuvent comprendre ou apprendre à comprendre la musique, mais sans personnalité, tout ce qu’on fait, c’est uniquement jouer les bonnes cordes. C’est le dialogue entre le texte écrit par le compositeur et la personnalité singulière de l’artiste qui rend une prestation unique.” Elle s’intéressait sincèrement à chacun de ses élèves et continuait à s’intéresser à eux même une fois leurs études terminées. Cela faisait partie de son plaisir de la musique. “Vous avez l’occasion de découvrir une nouvelle personnalité ! Chacun est absolument unique. C’est un aspect tellement merveilleux de l’humanité, et c’est pareil pour la musique. La musique est pleine d’émotion sous toutes ses formes : elle est tour à tour drôle, sérieuse, séduisante, ascétique, intellectuelle, divertissante, tragique, débordante de joie… On trouve dans la musique tout ce qui est vivant, et tout ce qui fait notre humanité. L’un des rôles du grand art est de nous montrer que nous ne sommes pas seuls.”

Peut-être était-ce là son secret, car c’est souvent cette bienveillance qui libère le meilleur en chacun de nous.

Au final, personne ne peut réellement mesurer combien un professeur est brillant, pas plus qu’on ne peut réellement situer la frontière entre un excellent musicien et un artiste. Mais quand vous êtes en présence de l’un ou l’autre, vous le savez tout de suite et ne l’oubliez jamais. Quel que soit leur degré de connaissance, tous les spectateurs sont en mesure de reconnaître la qualité, le talent et le don de soi. Vous allez terriblement nous manquer Germaine. Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire sans vous. Mais tous ceux qui vous ont rencontrée ne pourront jamais vous oublier. Vous continuerez à vivre à travers tout ce que vous avez su transmettre aux merveilleux artistes que vous avez accompagnés sur le chemin de la musique. Vous serez toujours dans les cœurs et les mémoires de chacun d’entre nous. A Moscou, un technicien nous fait part de sa tristesse et de ses souvenirs. En Allemagne, un musicien d’orchestre se souvient d’avoir partagé une cigarette avec vous lors d’un concours. Certaines personnes vous ont bien connu, d’autres moins, mais vous avez touché tout le monde. Vous nous avez fait nous sentir moins seuls. Il n’y a pas de plus grande réussite pour un musicien, un professeur, ou pour un être humain.

Helen Leitner

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